La Sauterie #08 – Gouter de Nuit
Les plaisanteries les plus longues sont parfois les meilleures. BAKA BAKQA et son équipe de doux dingues le savent bien puisqu’en deux ans, ce qui avait commencé comme un délire d’after est devenu l’un des rendez-vous les plus originaux de la nuit parisienne. Samedi dernier, après un saut au Control Club de Bucarest pour sa Conquest of the Last Elements, Gouter de Nuit était de retour à Paris, au Cabaret Sauvage. Pour filer la blague. Elle fut du meilleur goût.
« J’ai l’impression d’aller à Space Mountain »
Depuis peu, GdN raconte une histoire. Une histoire étrange, qui mêle expérimentations chimiques, soupières mystiques, poppers atomiques et voyages galactiques. Chaque nouvelle soirée se veut un nouvel épisode de ce récit perché, avec son thème et sa mise en scène propre. En ce 7 mars 2020 donc, on oublie le Cabaret Sauvage, et on embarque à bord du Lily Millenium pour une soirée « Galactique ».
Dans l’obscurité du parc de la Villette, c’est vrai que la façade du Cabaret, tout en néons rouges, à des allures de réacteur spatial. « J’ai l’impression d’aller à Space Mountain », me dit un pote qui ne connaît pas encore GdN. Si tu savais…
Si GdN se démarque tant, c’est tout d’abord par sa proposition musicale. Porte-étendard du darkdisco et de ses affiliés, le public s’y trémousse depuis plus de deux ans maintenant sur fond de basses vintages, de nappes vaporeuses, de beats métronomiques, claquants, et de vocals mystiques. Newwave, synth-wave, dark-wave, indus, italo-disco… On y trouve d’un peu tout ce qui animait le tournant 70’s-80’s, après un lifting quelque peu techno. Et si le tempo pourra paraître lent aux âmes de raveurs, c’est pour se faire d’autant plus lourd, massif. Lascif.
Décollage imminent
A 23h, Bonnie Spacey fait décoller le Lily Millenium. A la tête du label indépendant Critical Monday fondé avec avec Damon Jee l’année dernière, la Lyonnaise envoie un set à l’image de ses prods : un pied dans la techno, un pied dans le rock, tout pour le club. Kicks lourds et basses implacables à la limite de la disto bombardent la salle, et le dance-floor s’emplit rapidement. La foule est déjà chaude, très chaude, et tout le monde sait pourtant que ce n’est que le début. Dans le public, d’ailleurs, beaucoup n’en sont pas à leur premier Goûter. Quant aux non-initiés, ils doivent leur présence aux (bons) conseils de leurs potes. Rien ne vaut le bouche-à-oreille…
Vers 2h et sans aucun temps mort, Bonnie Spacey passe le relais à DEMIAN, baroudeur installé chez les allemands Kompakt Records après un passage sur le label de Jennifer Cardini, Correspondant. Les lumières se font plus bleues, plus froides. Adepte de sonorités futuristes et de reverbs profondes, Demian emmène loin. Très loin. Les participants aux déguisements « galactiques » les plus réussis investissent la scène et donnent corps à ce set hypnotique qui m’a semblé durer 30 minutes (1h30 en réalité).
https://www.facebook.com/gouterdenuit/videos/156736615377149/
Crédit vidéo : BAKA BAKQA
Au moment où Damon Jee s’installe au desk, un type se met à distribuer des masques de protection médicale dans le public… qui s’empresse bien vite de le détourner de sa fonction première. Cache-téton, cache-sexe ou lance-gobelet, c’est fou ce qu’on peut faire avec deux élastiques et un bout de tissu ! Mention spéciale au mec à côté de moi qui l’a utilisé comme inhalateur de poppers après l’avoir humecté de « perles de nez ».
« Gouter de nuit en un mot ? Moiteur. »
Bref, il est 3h, et Damon Jee, l’autre pilier de Critical Monday, est en place. La tension monte d’un cran. Elle ne redescendra plus. Sous le chapiteau du Cabaret Sauvage –pardon- la coque du Lily Millenium, chacun s’est définitivement abandonné à la nervosité érotique distillée par son set intensément dark-disco. Les yeux fermés ou bien roulants comme des boules de loto, peu importe : ça sue, ça danse, ça s’enlace et s’embrasse, ça fait corps par et pour le son. Tout le long du set, la tension reste constante sans jamais basculer dans la débauche de décibels oude bpms épileptiques. C’est puissant, travaillé, subtil.
« Gouter de nuit en un mot ?
-Moiteur. »
De tous ceux à qui j’ai posé la question, ce couple qui s’ambiançait à côté de moi sur Drifter (je crois ?) a eu la réponse la plus juste. Moite. Humide. Ce goûter l’était plus que jamais. Tant et si bien que votre humble serviteur s’est, au bout d’un moment, laissé aller à cette joyeuse partouze émotionnelle. Difficile donc de retracer avec cohérence ce qui s’est passé par la suite, mais voici, en vrac, ce que j’ai vu :
– Un grand blond huché sur les épaules d’un autre encore plus grand qui hurlait « Coin-coin Banane ! »
– Une drag et deux mecs en plein débat obscur qui convoquait à la fois Judith Butler et les Tortues Ninjas
– Un gars déguisé en un genre de Superman qui a fait tomber l’emblématique slip une fois sur scène
– Une chaîne de massage
– Un mec qui cherchait son téléphone portable avec la lumière… de son téléphone portable
Force est d’admettre que cette nuit fut particulière.
Vers 6h, BAKA BAKQA, mère supérieure de la maison Goûter de Nuit, entame le dernier set de cette nuit d’anthologie. Loin de relâcher la pression, l’habitué des Ceremony NWPP nous gratifie d’un set bourré de références diverses, passant d’une EBM âpre à une new-wave plus pop avec aisance. Les choix sont audacieux mais le résultat, toujours, sonne comme une évidence.
Lorsque les lumières se rallument en début de matinée, personne n’est prêt à partir. On en réclame encore. Mais on a déjà dépassé l’heure-limite, visiblement. Qu’à cela ne tienne : une fois passés aux vestiaires, les traditionnels groupes d’after commencent à se former sur le parvis du Cabaret Sauvage. Tout le monde est d’accord pour dire que ce Goûter fut anthologique. Et ce même monde tout aussi d’accord pour dire qu’on pense toujours ça d’un Goûter. Bon, d’accord. Mais force est d’admettre que cette nuit fut particulière.
Grâce à une programmation dense et parfaitement équilibrée, grâce à un concept qui ne cesse de se bonifier, grâce à l’assurance de ses organisateurs qui croient à leur(s) histoire(s), et qui nous feront le plaisir de continuer. Mais aussi et surtout grâce au public que tout ce beau projet réussi à drainer, exceptionnellement divers cette nuit-là : public de clubs et accros aux raves, amateurs de rock et de techno, public queer et hétéro, cadre sups et étudiants… Tout ce petit monde, pas forcément habitué à se fréquenter, a véritablement communié. Et voilà peut-être le plus beau résultat de GdN, et du culot dont ce collectif fait preuve depuis ses débuts. Un culot enfantin et subversif, candide et punk, qui invite à joyeusement faire sauter les préconçus de chacun pour réapprendre à kiffer ensemble, à se regarder, à se toucher, à se parler. Ce ne sont que 7 heures. C’est pas ça qui changera le monde. Mais par les temps qui courent, ça fait du bien.
Par : Pascaud Clément
Crédit photo : François de la Pampa – francoisdelapampa.com