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LA PÉPINIÈRE

La Sauterie #14 – Une nouvelle place accordée aux femmes dans la culture électronique?

Dans les années 70, lorsque la disco est arrivée dans les clubs, suivi dans les années 80 de la house, la soirée devint à la fois un moment de libération, un facteur d’unification et de tolérance vis-à-vis des marginaux, à savoir la communauté homosexuelle de cette époque. Au sein de ces soirées, on découvre une nouvelle musique, mais aussi une nouvelle culture du clubbing qui inclut les différences et les exalte, d’où maintenant le succès des soirées Possession, qui sont à l’origine des soirées LGBTQI+. La culture électronique n’a rien perdu de sa modernité ni de son avant-gardisme dans les questions sociales, puisqu’il semblerait que la montée des revendications féministes se soient déplacées de l’espace publique à l’espace festif, tout comme elle l’avait fait pour la communauté homosexuelle. Autrefois c’était la culture gay et donc les valeurs de tolérance qui étaient promues, et désormais c’est la femme qui apporte de nouvelles transformations à la soirée, que ce soit au niveau des comportements ou au niveau des valeurs qu’elles encouragent.

 

La question ne se pose pas, les racines de la culture électro sont dans la free party, c’est-à-dire un espace de bienveillance, de tolérance et de liberté pour tous les genres, toutes les origines, toutes les orientations sexuelles et tous types d’humains confondus. Pourtant, ce n’est pas un hasard si on voit proliférer des associations comme Consentis, des artistes s’exprimant dans le cadre de PWFM (Provocative Women for Music) ou encore des groupes Facebook comme les Technopines, qui sont toutes des initiatives féministes pour se battre contre les comportements machistes qui se sont introduits dans les fêtes en même temps que la popularisation de la culture électro. Ce que toutes ces femmes cherchent, au fond, c’est de pérenniser les valeurs de la free party dans la culture électronique, de retrouver ce paradis perdu dans lequel on peut aller en soirée habillées comme on veut sans risquer de se faire frotter, de se faire draguer par des relous, ou de se faire agresser. Quel chemin avons-nous parcouru et qu’est-ce qu’il nous reste encore à accomplir pour que la parité soit totale dans la culture électro ?

 

Prise de conscience et tournant féministe

De manière générale, toutes les femmes que j’ai interrogées sont d’accord pour dire qu’on voit progresser les mentalités et la parité dans la culture électronique. Il semblerait qu’il y a eu une prise de conscience dans les dernières années face aux line-up loin d’être paritaires, à la surreprésentation d’hommes cis-blanc chez les DJ, le staff et toute l’équipe derrière l’organisation des soirées électro.

“Bien qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour plus de parité dans le milieu des événements électroniques, il y a des améliorations que j’ai ressentie dans ses dernières années.” – Bernadette

Ça fait plusieurs années que des associations comme PWFM ou les Soeurs Malsaines existent, mais ça fait seulement un ou deux ans que celles-ci se sont politisées et ont pris le parti des femmes dans leurs actions et dans leurs événements. Le maître mot, c’est la parité, c’est-à-dire le traitement d’égal à égal entre les genres. C’est le concept à l’origine des cache-tétons, un petit accessoire révolutionnaire inventé par le collectif des Soeurs Malsaines afin de permettre aux femmes de libérer leur corps au même titre que les hommes en soirée. Les hommes peuvent aussi bien le porter que les femmes par ailleurs, et selon Emilie des Soeurs Malsaines, c’est ce traitement d’égal à égal, sans rapport de domination, qui permettra à terme de faire des soirées électro un lieu de bienveillance et de respect pour tous.

 

Bernadette à la soirée Kauzette organisée par Infrason au 6b.
Photographe : Arthur Lacour.

On voit aussi apparaître de plus en plus de femmes qui veulent apprendre à mixer ou qui mixent, et un effort auprès des programmateurs pour instaurer la parité dans les line-up. Par exemple, cette année Infrason lancé le projet des soirées “Kauzette” avec un line-up 100% féminin, ou l’initiative du Sisterules festival organisé pendant le confinement qui réunissait plus de 20 DJ sets féminins. La DJ Bernadette m’a également parlé de son action dans le cadre de Move UR Gambettes, qui propose des ateliers de mixage uniquement réservés aux femmes. En dépit des critiques que peuvent subir ces femmes qui sont mises en avant, la discrimination positive est un outil essentiel au rééquilibrage des sexes dans le milieu électronique.

“Le milieu électro présente beaucoup de “whitewashing” et est dominé par les hommes cis, les personnes valides et minces. En regardant les programmations musicales, le manque de diversité est flagrant.” – Consentis

Ce qui est certain, c’est qu’il faut que les femmes mixent plus, qu’elles soient plus ambitieuses et qu’elles aient davantage confiance en leur talent. Toutes ces initiatives dans ces dernières années illustrent un concept que l’on retrouve également dans les Collages Féminicides et que j’ai retrouvé dans la bouche de Mathilde de PWFM: la sororité. Il faut mettre en place un réseau de solidarité pour que les femmes puissent se lancer dans ce milieu majoritairement dominé par le genre masculin sans qu’elles rencontrent des discriminations ou des traitements différenciés à cause de leur sexe. Pourtant, c’est encore le cas…

 

Des progrès… mais encore du chemin à parcourir

“…j’ai déjà été bookée PARCE QUE j’étais une meuf […] c’est gros comme un camion qu’on avait besoin de une ou deux meufs pour remplir les quotas mais que musicalement ce que je peux proposer on s’en fout un peu.” – LeLeon

 

Le pendant négatif de cette valorisation des femmes sur la scène électro, c’est qu’on ne va pas nécessairement mettre en avant son talent ou sa musique, mais plutôt son apparence et sa compétitivité. Ce qui est très souvent revenu dans les entretiens que j’ai eu avec des DJ féminines, c’est qu’une femme va d’abord être regardée plutôt qu’écoutée.

“Stylé de voir une meuf mixer.”

“C’est juste parce que tu es une meuf que t’es là.”

“Je t’ai vu mixer la dernière dois, je croyais que t’étais moche mais en fait ça passe.”

Voilà le genre de remarque que ManonDémon a pu entendre de la part du public. Est-ce qu’un seul DJ masculin peut dire qu’on lui a fait de telles remarques? Quand le sexe change, on n’a pas le même rapport au DJ, et ce encore aujourd’hui avec tous les progrès que l’on a fait dans notre société vis-à-vis des femmes. Un homme qui mixe est écouté, une meuf par contre sera jugée par son apparence, et elle sera d’autant plus sous pression car si elle fait une erreur, elle sera plus facilement décrédibilisée:

 

“…j’ai la sensation qu’il plane une certaine forme de challenge perpétuel, une sorte d’effort à fournir, celui de devoir “prouver” notre compétence en tant que femme.” – ManonDémon

 

Les discriminations n’existent pas que dans la sphère des DJ et des line-up non-paritaires, mais également dans le publique. C’est pourquoi des associations comme Consentis se sont développées dans le cadre des soirées électro.

 

Affiche de prévention par Consentis.

 

Le sexisme et les comportements déviants sont présents partout, même sur la piste de danse, et c’est contre ces abus que des associations comme Consentis lutte. Les frotteurs, les forceurs, les violeurs…on connaît ces hommes ou ces groupes en soirée qui ne prennent pas le temps de se demander si leur cible consent les attouchements qu’elles subissent, et prennent comme acquis la réciprocité du désir, ou ils ne prennent même pas en compte l’avis de leurs victimes. Ces comportements ont toujours existé, que ce soit dans des soirées ou dans la société, mais elles paraissent proprement intolérables dans le cadre de la culture électronique.

“Promouvoir une culture du consentement dans les lieux festifs […] trop souvent ces expériences festives, culturelles et émancipatrices sont gâchées par la présence du sexisme ordinaire et des violences sexuelles.” – Consentis

Dans la free party , chacun devrait se sentir libre de disposer de son corps comme il le souhaite, et les valeurs de tolérance, de bienveillance et de compassion sont au coeur de ces événements. Ce sont ces valeurs que l’on retrouve dans des soirées comme celles des Soeurs Malsaines, au sein desquelles les impératifs de tolérance et de bienveillance sont institutionnalisés dans une charte, et le publique et les lieux d’accueil de ces soirées sont rigoureusement encadrés par ces règles. De manière générale, selon ManonDémon, “les valeurs, ça doit se transmettre à tout un staff: ça part de la fouille à l’entrée jusqu’à la clôture du lieu, en passant par les toilettes et le bar.

Plusieurs témoignages que j’ai recueillie autour du groupe Facebook des “Technopines”, confirment que la soirée électro est de loin la soirée où les filles se sentent le plus en sécurité, où elles sont le moins agresser, et où la plupart des gens rencontrés sont bienveillants. Il existe encore cependant des comportements déviants, mais une nouvelle initiative sur des groupes Facebook comme Techno Flex et Détente tend à prévenir qu’il y a des agressions dans les soirées, et même à afficher publiquement les coupables. C’est un progrès énorme qui semble s’être généralisé depuis #metoo: on a décidé de ne plus invisibiliser les femmes, d’entendre ce qu’elles ont à dire et prendre en compte leurs revendications.

 

La teuf : un espace politique

“Je vois la musique de manière très politique […] je pense que les fêtes sont le reflet de la société.” – Marion de PWFM

 

N’oublions pas les origines de la culture électro et les valeurs de la free party : créer un espace de tolérance et de bienveillance pour tous ceux qui sont marginalisés par les valeurs dominantes dans la société, les permettre de s’exprimer et de se rencontrer dans un cadre qui n’est donc pas uniquement festif, mais aussi politique. Le tournant politique et féministe pris dans cette dernière année n’est pas hasardeux, mais il reflète une nouvelle mentalité et une nouvelle prise de conscience vis-à-vis des femmes. Pour Emilie des Soeurs Malsaines, il ne s’agit pas seulement de faire la teuf pour faire la teuf, mais d’avoir des contacts humains profonds de partage, de rencontre et d’émotions quand on va en soirée.

 

Soeurs Malsaines. Photographe: Mahdi Aridj.

 

C’est pourquoi on ne peut pas s’arrêter là. En dépit d’être toutes d’accord pour dire que l’on progresse, toutes les femmes que j’ai interrogées pour cet article affirment également à l’unanimité qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire avant que la culture électro soit un milieu véritablement paritaire.

 

“Je pense que le milieu de la musique électronique n’a pas uniquement pour vocation de “faire la teuf pour faire la teuf.” Déjà il y a la question de pourquoi on y va, et dans quels types de teufs on va. Rien que ça, c’est presque un engagement politique.” – ManonDémon

 

D’abord, les femmes ne sont pas les seules à subir des discriminations, et une plus grande diversité de représentation dans les line-up et dans les milieux électro serait déjà un très gros progrès à accomplir. De nouveaux organismes comme Act Right visent également à lutter contre les discriminations et tout type d’acte violent dans une optique de convergence des luttes, ce qui montre que l’on est déjà sur la bonne voie.

Ensuite, il faut dénoncer les agressions, confronter les agresseurs dans l’espace même de la soirée et alerter le staff. Si on veut porter plainte après un événement, on peut le faire directement sur https://www.service-public.fr/cm , en parler en anonyme sur les réseaux via metoodancefloor@consentis.info , ou alerter les groupes Facebook de soirée. Tous les moyens sont bons pour “désinvisibiliser” les victimes et leurs souffrances.

 

Pour finir, l’impératif commun à toutes les femmes que j’ai interrogées pour cet article, c’est d’écouter, de se sensibiliser aux victimes, d’être bienveillant et tolérant les uns envers les autres… en somme de continuer à faire vivre cet esprit d’ouverture né de la culture électro et de la free party à travers les soirées, pour ne pas oublier qu’un teufeur c’est aussi et avant tout quelqu’un porteur de toutes ces valeurs !

 

Par : Lara Dauster

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